Hommage de PNC-France à Marcel Boiteux

La France a eu dans le domaine de la production électrique une politique énergétique brillante qui, malgré les errements de la période récente, produit encore ses effets en termes de coût de l’énergie, de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de souveraineté nationale. Nous le devons incontestablement à de grands serviteurs de l’État qui ont imprimé leur marque par leur intelligence, leur désintéressement et ont conduit les dirigeants politiques à prendre les décisions visionnaires qui s’imposaient. 

Marcel Boiteux figure au premier rang de ceux-là. Économiste libéral, il sut comprendre les spécificités d’un service distribué par un monopole naturel et dont aucune des dimensions stratégiques ne lui échappait. Il a doté le secteur de l’électricité d’une théorie de la tarification dont la pertinence toujours actuelle n’inspire hélas pas les technocrates européens, voire les exaspère. Il avait le talent de mobiliser ses équipes avec des phrases très simples : « La mission d’EDF est de fournir en permanence au pays, l’électricité de qualité dont elle a besoin, en quantité suffisante et avec le coût le plus bas pour la collectivité » disait-il

Il restera aussi et surtout le père du programme électronucléaire français, un succès internationalement reconnu, auquel il faut associer Pierre Delaporte, Michel Hug et Jean Bergougnoux qui nous ont aussi quittés. Les choix technologiques furent les bons, comme le rappelle opportunément Yves Bréchet, ancien commissaire à l’énergie atomique, dans l’hommage qu’il lui rend, comparant très justement Marcel Boiteux à Vauban, grand ingénieur d’un autre siècle. La rigueur et la ténacité dans la mise en œuvre de ces choix furent exemplaires. Durant vingt ans à la tête d’EDF, d’abord comme directeur général puis comme président, il a construit, à l’échelle mondiale, une entreprise phare de son secteur, au sein de laquelle il a été un puissant moteur de progrès et de réussite.

Que sa haute figure soit une référence pour les temps présents ! Que la France renoue avec cette période où les grands choix énergétiques de notre pays étaient guidés par la rationalité et non par l’idéologie, un temps où l’intérêt national était le seul guide de nos dirigeants, grâce à l’éclairage d’hommes tels que Marcel Boiteux et à leur capacité à mettre en œuvre les décisions pertinentes dont ils étaient les prescripteurs.

La France perd un de ses immenses serviteurs auquel PNC-France rend un vibrant hommage.
Dans « le Point », Yves Bréchet, ancien Haut-Commissaire du CEA rend aussi hommage à Marcel Boiteux.
André Lacroix

Hommage à Marcel Boiteux : « Souvenirs de Vauban »

TRIBUNE. L’ancien haut-commissaire à l’Énergie atomique Yves Bréchet rend hommage à Marcel Boiteux, pilier historique d’EDF et artisan du parc nucléaire, décédé le 6 septembre.

Marcel Boiteux est décédé à l’âge de 101 ans.© Gilles ROLLE/REA

Publié le 08/09/2023 à 19h00

Marcel Boiteux vient de nous quitter à l’âge respectable de 101 ans. Il fait maintenant partie de notre histoire, mais il était entré depuis longtemps dans la légende comme l’archétype du serviteur de l’État, comme l’architecte de notre paysage énergétique.

D’autres que moi, qui ont travaillé directement avec lui, diront mieux qui était Marcel Boiteux, le penseur de la tarification des services publics (de la SNCF puis de l’électricité), le bâtisseur du parc électronucléaire français dont des lilliputiens irresponsables, sur la fin de sa vie, n’ont pas compris la valeur ni défendu l’héritage.

D’autres que moi brosseront le tableau de cette génération de géants qui ont fait le choix de la filière à eau pressurisée (Westinghouse) et de la franciser, au lieu de la filière française « Graphite Gaz » qui ne passait pas à l’échelle industrielle, donnant l’exemple de ce qu’est un véritable serviteur de l’État, qui analyse le fond des choses et recommande non pas ce qu’un nationalisme myope aurait suggéré, mais ce qui est le mieux pour l’avenir du pays.

D’autres pourront rappeler cette lutte courageuse contre tel industriel influent proche du pouvoir de l’époque qui aurait bien voulu « en même temps » une filière à eau bouillante. Et qu’il eut gain de cause parce qu’il ne flattait pas, mais argumentait de façon solide devant des décideurs politiques capables de recevoir une argumentation au lieu de ne savoir que céder à des influences.

Visionnaire

On se souvient de sa capacité à s’entourer de collaborateurs talentueux comme l’organisateur de la construction du parc, Michel Hug, et à le soutenir quand sa rude franchise lui mettait à dos les barons de l’électricien. Il faut relire ses mémoires « Haute Tension » pour comprendre à la fois à quel point il fut un grand serviteur du pays. Il faut lire ses articles incisifs, dans la revue Commentaire, où il écrivait dans une prose lumineuse ce que pouvait dire un penseur de mouvance libérale qui ne se satisfaisait pas de la doxa du marché, et qui, Européen convaincu, n’hésitait pas à renvoyer dans les cordes – et avec quel talent ! – les outils de vassalisation énergétique du pays (loi Nome, ARENH, vente des barrages, démantèlement d’EDF, subventions à fonds perdu de vampires qui spéculent sans produire, et j’en passe…).

Marcel Boiteux avait le sens de la formule, et un style lumineux tout droit venu du grand siècle. On serait bien inspiré de le rééditer pour rappeler ce que signifie à la fois servir, et gouverner. Ce serait le plus bel éloge à lui faire, plus grand que les tartufferies tweetées aussi vite oubliées que produites qui semblent être devenues la marque de fabrique de l’époque.

J’ai rencontré, trop rarement, Marcel Boiteux, ressentant à chaque fois à quel point j’étais né trop tard pour avoir eu la chance de travailler avec un tel patron. À peine arrivé au poste de haut-commissaire, je demandais à le voir, il avait plus de 90 ans. Il s’agissait pour moi de comprendre comment il avait construit et soutenu, avec André Giraud, une collaboration solide avec le CEA. Il avait une interprétation lumineuse : « Que chacun fasse son métier, qu’EDF s’occupe du présent, que le CEA prépare l’avenir. » Sa vision de la nécessité d’une quatrième génération pour un nucléaire durable, les réacteurs surrégénérateurs refroidis au sodium, était sans ambiguïté. Je le cite de mémoire : « C’est évidemment le devoir de l’État de le décider, si EDF pense plus loin qu’un chef comptable, il doit soutenir le projet de quatrième génération, et c’est le devoir du CEA de le mener à bien. »

« La ministre n’avait pas jugé bon de rester l’écouter »

Un autre exemple de sa vision. Membre de la commission de l’évaluation des déchets nucléaires jusqu’en 2012 (la CNE qui rapporte au Parlement), je côtoyais un philosophe et historien, Jean Baechler, un autre géant disparu récemment sans que personne dans le brouhaha médiatique n’y fasse attention tant sa pensée était réfractaire à la simplification. Jean Baechler posait toujours la bonne question, celle à laquelle les scientifiques n’avaient pas pensé… et je découvre que c’est Marcel Boiteux, son collègue à l’Académie des Sciences morales et politiques, qui l’avait suggéré à la CNE et qui l’avait intéressé à la question.

Pour les 70 ans du CEA en 2016, avec Daniel Verwaerde, nous lui demandions de faire un discours. Il avait 95 ans. Après le discours bien troussé qu’un plumitif promis à une belle carrière avait écrit, prononcé par une ministre partie aussitôt après, et dont dans ma naïveté je n’avais pas compris qu’il n’engageait en rien, nous avons pu entendre, fascinés, de la bouche de celui qui était déjà dans l’histoire, le déroulé des choix présidentiels pour assurer, au moment de la crise pétrolière, notre souveraineté énergétique. C’était une leçon admirable de clarté. C’est aussi cela le mal français, la ministre n’avait pas jugé bon de rester l’écouter.

On trouve dans la correspondance de Vauban cette phrase qui semble avoir été écrite pour Marcel Boiteux : « La véritable gloire ne vole pas comme le papillon ; elle ne s’acquiert que par des actions réelles et solides. Elle veut toujours remplir ses devoirs à la lettre. Son premier et véritable principe est la vérité… »

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