Plutonium RNR et Bill Gates

Une mise au point de Dominique Grenêche sur la stratégie US vis-à-vis des RNR.
Pour info, le projet NATRIUM porté par Bill Gates à travers Terra Power associé à GE Hitachi est un SMR de 340 MWe (?) construit dans le Wyoming.
Au démarrage de Phénix, une partie du Pu avait été remplacée par de l’Uranium enrichi à environ 25 %.

Bonne lecture
André Lacroix

En janvier 1977, Jimmy Carter devient Président des États-Unis. Il est obsédé par les risques de prolifération des armes nucléaires dans le monde liés à l’énergie nucléaire civile. Le 7 avril 1977, dans un document d’une page et demie https://www.nrc.gov/docs/ML1209/ML120960615.pdf il présente la politique de la nouvelle administration sur le nucléaire en termes généraux, dans lequel Il est décidé de différer sine die le retraitement à fins commerciales des combustibles irradiés aux États-Unis, afin de montrer l’exemple aux autres pays. La raison est que cette technologie qui sépare le plutonium contenu dans ces combustibles peut être détournée à des fins militaires (fabrication de bombes atomiques au plutonium). Ce document (« Statement ») annonce par ailleurs qu’il s’apprête à soumettre au Congrès les étapes législatives permettant de signer des contrats de fourniture débarrassés des contraintes liées aux questions du retraitement. Il porte ainsi un coup sévère au programme électronucléaire américain en condamnant de facto le développement des RNR aux États-Unis. De plus son administration exerce alors des pressions « amicales », mais fermes sur les pays exportateurs de matériel et de technologies sensibles pour qu'ils suivent l'exemple américain.
 

Dans le prolongement de cette décision, une conférence internationale est organisée du 19 au 21 octobre 1977 à Washington sur ce thème de la prolifération nucléaire liée au cycle du combustible. Le principal résultat de cette conférence est la décision de lancer une étude technique internationale sur le sujet, baptisée « International Nuclear Fuel Cycle Evaluation », INFCE. C’est un énorme « machin » dont on peut mesurer l’ampleur en donnant les quelques éléments suivants. Les travaux s’étalent sur deux ans et sont réalisés par 700 experts (dont j’ai fait partie) venus de 40 pays (ils seront 60 à la fin des travaux !) et 4 organisations internationales. Ils sont répartis en 8 groupes de travail avec des représentants de quelques pays dans chaque groupe. L’un de ces groupes (le N° 3) avait pour tâche d’examiner la question « Comment assurer à long terme le transfert de technologie, l'approvisionnement en combustible et en eau lourde, et la fourniture de services dans l'intérêt de chaque pays sans compromettre la non-prolifération (coprésidents: Australie, Philippines, Suisse). Un autre (le N° 5) était consacré au retraitement et au recyclage du plutonium (coprésidents: Japon, Royaume-Uni) et un autre encore aux RNR « surgénérateurs » (coprésidents: Belgique, Italie, URSS); gestion du combustible épuisé (Coprésidents: Argentine, Espagne). Résultat : un document de 25 000 pages et une conférence plénière de clôture qui s’est tenu à l’AIEA du 25 au 27 février. Le communiqué final publié à l’issue de ces travaux titanesques consistait en une suite de remerciements et de félicitations pour le travail accompli (comme aux oscars) et de recommandations du type « …l'énergie nucléaire devra jouer un rôle plus important dans la satisfaction des besoins énergétiques dans le monde et devrait être largement disponible à cette fin » ou « … des mesures effectives peuvent et devraient être prises pour réduire au minimum le risque de prolifération des armes nucléaires sans mettre en danger les approvisionnements énergétiques ni le développement de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques ». La Conférence a constaté que les objectifs mentionnés ci-dessus ne peuvent être atteints que par une coopération internationale continue et les participants se sont montrés déterminés à maintenir le climat de compréhension mutuelle et de coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire ». Autrement dit, c’est le néant ou presque.
 

Au milieu des années 1990, des négociations s’engagent entre les États-Unis et la Russie pour discuter du devenir du plutonium de qualité militaire (« w-pu » = weapon grade plutonium) issu du démantèlement d’une partie des bombes atomiques que possède chaque pays (65 000 au total !). Un accord est signé en 2000 ( https://2009-2017.state.gov/documents/organization/213493.pdf) qui porte sur 34 tonnes de w-pu dans chaque pays (ce qui correspond à 8500 bombes), à recycler sous forme de combustible MOX dans des réacteurs REP.
 

Il fallait pour cela construire une usine de fabrication de combustible MOX aux États-Unis. La construction de cette installation (MFFF = Mox Fuel Fabrication Facility) a commencé en 2007 sur le site de Savannah River. Le procédé qui devait être utilisé est celui de notre usine Melox, vendu aux Américains par AREVA. De plus, quatre assemblages de combustible MOX ont été fabriqués à Melox pour être irradiés dans un réacteur américain (Catawba) entre 2005 et 2008. C’est ainsi que 120 kg de w-pu ont traversé l’Atlantique (sous très très bonne escorte).
 

Mais de nombreux scientifiques et politiques anti-plutonium s’opposent fermement à ce programme, car ils estiment que c’est un mauvais exemple qui peut ébranler la doctrine de base américaine de bannissement du plutonium. Ils obtiennent finalement gain de cause puisque la construction de MFFF, pourtant achevée à 70 %, est arrêtée définitivement en 2017.
 

Aucun changement n’est intervenu depuis dans cette politique, et par conséquent l’usage du plutonium reste interdit aujourd’hui aux États-Unis, jusqu’à nouvel ordre.

Toute autre annonce ou déclaration n’allant pas dans ce sens est de l’entourloupe.

Bill Gates, comme le commun des mortels américains, sera donc privé de plutonium. Il devra ainsi se contenter d’enrichir de l’uranium pour alimenter ses réacteurs.

Cela ne devrait pas lui poser de problème, car il s’y connait en enrichissement !
Dominique GRENECHE


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