Matthieu Pechberty – Le
La tension monte entre EDF et son actionnaire, l’Etat. Depuis plusieurs mois, les deux parties ont engagé des discussions autour de la future régulation des prix qui doit entrer en vigueur début 2026. On savait les négociations difficiles depuis trois mois.
Elles ont aujourd’hui basculé dans une ambiance « très tendue » selon plusieurs sources proches du dossier. « Il n’y a même plus de discussions, tout est bloqué » explique un proche de Matignon. Hier, une réunion interministérielle s’est tenue autour de la Première ministre sur la régulation du marché de l’énergie.
Un proche d’EDF reconnaît une « tension » avec le cabinet d’Elisabeth Borne et tente de nuancer en décrivant de « bonnes relations » avec le ministère de l’Économie et l’Agence des participations de l’Etat (APE), son actionnaire à 100%. Mercredi, Bruno Le Maire a d’ailleurs rencontré le PDG d’EDF, dont il avait proposé la nomination l’an passé.
Car, le matin même, Luc Rémont a réuni le conseil d’administration de l’entreprise publique dans un contexte « très tendu », selon un proche du groupe. Une « passe d’armes » a eu lieu entre le PDG d’EDF et Sophie Mourlon, la directrice générale de l’énergie et du climat (DGEC). Luc Rémont a reproché à la représentante du ministère de l’Énergie d’avoir publié un rapport confidentiel sur les coûts du nucléaire.
« Il était furieux, c’est la première fois qu’on le voyait comme ça, explique un participant. Il a déploré que le gouvernement ait dévoilé des données économiques importantes à la concurrence ». Selon nos informations, il a même menacé de déposer un recours juridique contre l’État. Contactée, la direction d’EDF a refusé de commenter.
Le gouvernement joue la surenchère
Du côté du gouvernement, on n’apprécie guère la rébellion de Luc Rémont. « Les échanges en conseil d’administration sont confidentiels, il est étonnant qu’EDF les dévoile, réplique une source proche de l’exécutif. Sur le fond, EDF est une entreprise à 100% publique. Il n’y a pas de négociations, mais une orientation politique à suivre ». La tension n’est pas près de retomber.
Mardi soir, la ministre Agnès Pannier-Runacher a publié un rapport de la Commission de régulation de l’énergie qui estime que le coût du nucléaire s’élève à 60 euros du mégawattheure. Ce niveau ancre désormais dans les esprits l’idée d’un plancher de 60 euros car Emmanuel Macron a promis de fixer des prix de l’électricité au plus près des coûts du nucléaire, pour protéger le consommateur.
Mais EDF le considère bien trop bas alors que les prix de marché sont aujourd’hui deux fois plus élevés, à 130 €/MWh. Luc Rémont lutte depuis plusieurs mois contre une régulation trop stricte qui limiterait les marges de manœuvres financières d’EDF. Le PDG livre en privé être prêt à fixer un plafond d’environ 120 euros/MWh. Un niveau élevé destiné à redresser les comptes d’EDF qui croule sous 60 milliards d’euros de dette.
Des prix encore élevés dans cinq ans?
« Ce chiffre ne prend même pas en compte le coût climatique et surtout celui des EPR dont la construction va commencer l’an prochain! s’agace un proche d’EDF. Le nucléaire pas cher c’est fini ». Luc Rémont espère aussi reconstituer les marges de l’entreprise qui va devoir investir 25 milliards d’euros par an pour financer la prolongation des centrales nucléaires et la construction des six futurs réacteurs EPR.
Deux chantiers gigantesques de 50 milliards d’euros chacun sur vingt ans. « C’est une erreur de vouloir financer les EPR avec l’électricité produite par les centrales existantes, explique une source proche des pouvoirs publics. La Commission européenne n’acceptera jamais ce schéma ».
Sur le fond, le PDG d’EDF milite pour l’instauration de contrats de long terme avec ses grands clients (entreprises et concurrents), qui serait une manière de n’appliquer que des prix de marché. Le gouvernement est favorable à mettre en place pour une partie seulement de la production d’électricité nucléaire. Le sujet a été abordé au conseil d’administration d’EDF mercredi. Le groupe prévoit des prix de l’électricité de 130 euros pour 2024, 100 euros pour 2027 et 85 euros pour 2028. Loin des 60 euros calculés par le régulateur…
Les négociations ont en réalité commencé au sein du conseil d’administration d’EDF. Le gouvernement va devoir trancher entre sa volonté politique de fixer des prix bas pour le consommateur et sa volonté financière de redresser les comptes d’EDF. Il doit définir cette nouvelle régulation pour la fin d’année afin qu’elle soit appliquée fin 2025.